sábado, 6 de febrero de 2021

Le Mossad piégé par son meurtre - Libération

Dubaï a lancé des mandats contre les Israéliens qui ont tué un cadre du Hamas en usurpant des identités.

Image tirée d'une vidéosurveillance, fournie par la police de Dubaï le 18 février 2010, montre Mahmoud Al-Mabhouh (cercle rouge), le cadre du Hamas assassiné, lors de son arrivée à l'hôtel le 19 janvier 2010 (Photo AFP)

L’étau s’est encore resserré hier sur ce qui ressemble de plus en plus à un fiasco majeur du Mossad, les services de renseignements extérieurs israéliens. Interpol a publié hier les identités et les photographies des onze suspects de l’assassinat, le mois dernier, d’un haut responsable du Hamas résidant habituellement à Damas (Syrie), dans un hôtel de l’émirat de Dubaï où il était de passage, et délivré des avis de recherche en vue d’extradition contre eux.

Mahmoud al-Mabhouh, considéré comme le principal fournisseur d’armes en provenance d’Iran du mouvement islamiste dans la bande de Gaza, avait été retrouvé assassiné, le 20 janvier, dans sa chambre. Les dirigeants israéliens, qui ne commentent jamais directement les opérations de leurs services secrets, réputés parmi les plus performants du monde, avaient cependant laissé poindre une discrète satisfaction, dont la presse israélienne s’était fait l’écho. L’assassinat avait été attribué à mots couverts au Mossad par la presse israélienne, se couvrant, pour des raisons de censure, derrière les «informations fournies par la presse étrangère».

Amateurisme. Mais l’opération, apparemment teintée d’amateurisme, a tourné au vinaigre pour Israël ces derniers jours. «Nos enquêtes révèlent que le Mossad est impliqué dans le meurtre de Mahmoud al-Mabhouh. Nous avons les preuves à 99%, si ce n’est à 100%, que le Mossad se trouve derrière le meurtre», a déclaré hier le chef de la police de Dubaï, Dahi Khalfan. «Les indices dont dispose la police de Dubaï montrent un lien clair entre les suspects et des gens en relation directe avec Israël», a-t-il ajouté, se basant entre autre sur le témoignage de deux Palestiniens ayant coopéré avec le Mossad et extradés par la Jordanie, où ils avaient fui après l’assassinat, vers Dubaï. Le commando s’est, en outre, laissé filmé par de nombreuses caméras de vidéosurveillance, notamment à l’hôtel, où il séjournait.

Le chef du Mossad depuis 2002, Meïr Dagan, pourrait être lui aussi directement menacé : l’émirat a demandé l’aide de la police internationale pour lancer un mandat d’arrêt contre lui si la responsabilité de ses services était prouvée.

Une des principales erreurs des services de renseignements israéliens semble avoir été d’avoir eu recours, pour couvrir ses agents, à de faux passeports européens mais relevant de vrais citoyens, suscitant la «colère» des chancelleries européennes concernées. La police de Dubaï a, en effet, révélé que les membres du commando, qui venait apparemment de Vienne, en Autriche, détenaient six passeports britanniques, trois irlandais, un français et un allemand. Le gouvernement israélien s’est muré dans le silence, comme les ambassadeurs israéliens en poste à Londres, Dublin et Berlin qui ont été convoqués hier par les chancelleries.

«Totalitaires». Le chargé d’affaires d’Israël en France a été reçu au Quai d’Orsay, qui a exprimé «la profonde préoccupation de la France quant à l’utilisation malveillante et frauduleuse de documents administratifs français».

En Israël, aussi, l’affaire commence à faire de sérieuses vagues : l’usurpation de l’identité de sept citoyens israéliens, utilisée par les membres du commando, a été largement condamnée. Les Israéliens concernés, dont six ont la double nationalité britannique, se sont plaints dans les médias de ce qu’ils dénoncent comme une atteinte à leurs droits individuels. «Etait-il adéquat de mettre ainsi en danger des Israéliens dont les identités ont été volées et utilisées par les assassins ? La crainte de voir son identité usurpée rappelle les pratiques des régimes totalitaires», s’indignait hier le quotidien de gauche Haaretz dans son éditorial.

Revers. C’est un coup d’autant plus dur pour le Mossad que son chef, Meïr Dagan, était très populaire en Israël. Crédité du bombardement d’une centrale nucléaire syrienne en construction en septembre 2007, de l’assassinat d’Imad Moughnieh, un des principaux chefs du Hezbollah, à Damas en février 2008, et d’une série de «bugs» dans le programme nucléaire iranien, Dagan est considéré comme celui qui avait redoré le blason de l’agence de renseignements israélienne.

La réputation du Mossad avait en effet été sérieusement écornée par une série de revers dans les années 90, notamment l’assassinat manqué du chef politique actuel du Hamas, Khaled Mechaal, en 1997. Une tentative d’empoisonnement de Mechaal, à Amman en Jordanie, avait tourné au fiasco : deux agents israéliens, déguisés en touristes canadiens, avaient été arrêtés par les autorités jordaniennes. Israël n’avait pu les récupérer que moyennant un antidote pour Mechaal et la libération du chef spirituel du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine, alors en prison. Ce dernier a ensuite été assassiné dans un raid aérien israélien en mars 2004.

Dans l’affaire Mechaal comme dans celle de Dubaï, c’est en dernier ressort la responsabilité du Premier ministre israélien, en l’occurrence Benyamin Nétanyahou - déjà au pouvoir en 1997 - qui est en cause. Malgré le démenti du ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, hier, le chef du Likoud semble avoir laissé les coudées franches aux services de renseignements pour mener des opérations secrètes, prenant le risque de compromettre les relations d’Israël avec la Jordanie et les Emirats arabes unis, deux des rares pays de la région à ne pas lui être franchement hostiles.