sábado, 6 de febrero de 2021

Sarkozy au Rwanda pour tourner la page - Libération

Seize ans après le génocide, la visite du président français à Kigali aujourd’hui marque la détente entre les deux pays. Avec ou sans mea culpa.

Des manifestants anti-France en novembre 2006. (Lors de la manifestation à Kigali, contre la France, jeudi dernier. REUTERS)

Quels mots pour le dire ? Aujourd’hui, lors d’une visite de quelques heures à Kigali, Nicolas Sarkozy n’échappera pas à l’évocation du rôle de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. Mais jusqu’où ira-t-il ? Après seize ans de brouille entre les deux pays, dont trois de rupture diplomatique, le président rwandais, Paul Kagame, dit ne pas demander d’excuses publiques françaises. Mais il les attend.

Que reproche Kigali à la France ? Avant le massacre, Paris a formé et épaulé l’armée (à dominante hutue) et les milices gouvernementales qui allaient commettre l’irréparable. Durant le génocide, les autorités françaises ont reçu des émissaires du gouvernement provisoire qui menait la campagne d’anéantissement des Tutsis et Hutus modérés, faisant 800 000 morts entre avril et juillet 1994. Paris a toujours affirmé tout ignorer du projet de génocide ourdi par le pouvoir en place. En 1998, une mission d’information parlementaire, dirigée par le socialiste Paul Quilès, avait conclu à une série de défaillances, exonérant la France de toute responsabilité directe dans le génocide.

Pragmatique, Nicolas Sarkozy est désireux de se tourner au plus vite vers l’avenir. Son escale à Kigali doit parachever un processus de rapprochement entamé dès le lendemain de son élection, en mai 2007. Il s’était notamment fixé comme priorité de solder les différends avec trois pays sur le continent noir : l’Angola, la Côte-d’Ivoire et le Rwanda.

Fautes. L’Elysée a veillé, toutefois, à ne pas donner trop de solennité à cette visite : aucun grand discours n’est prévu, juste une simple conférence de presse conjointe des deux présidents. Mais nul doute que chaque mot aura été pesé et soupesé par Paris. A la fin des années 90, les Nations unies, la Belgique - l’ancienne puissance coloniale - et même les Etats-Unis avaient présenté leurs excuses au peuple rwandais pour n’avoir pas su empêcher le «crime des crimes». La France s’y est toujours refusée. Allergique à toute idée de repentance, Nicolas Sarkozy ne devrait pas demander pardon pour des fautes que la France ne reconnaît pas. Cette semaine, un conseiller du Président confiait : «Le chef de l’Etat va réaffirmer qu’il s’agit d’une responsabilité collective de la communauté internationale, que la France y a sa part et qu’il faut reconnaître que des erreurs ont été commises.» Sans s’appesantir. Dès la fin 2007, lors d’un sommet Europe-Afrique à Lisbonne, il avait parlé d’«erreurs» devant Paul Kagame. L’année suivante, son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait été plus loin, évoquant à Kigali des «fautes politiques» françaises. Ulcéré, Edouard Balladur, Premier ministre à l’époque des faits, s’était plaint à l’Elysée et des officiers ayant servi dans l’opération Turquoise, montée à la hâte par la France à la fin du génocide, ont protesté.

A Kigali, Nicolas Sarkozy devrait, en tout cas, être l’abri de la mésaventure subie, en 2004, par le secrétaire d’Etat à la Coopération, Renaud Muselier. Représentant la France aux commémorations du dixième anniversaire du génocide, il avait été publiquement interpellé par Paul Kagame lors d’une cérémonie dans un stade de la capitale. Furieux, le secrétaire d’Etat avait prestement quitté le pays. Deux ans et demi plus tard, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, chargé de l’enquête sur le crash de l’avion de l’ancien président rwandais (hutu) Juvénal Habyarimana, dont l’équipage était français, lançait des mandats d’arrêt contre neuf proches du président Kagame, soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat qui donna le signal du massacre. Aussitôt, Kigali rompait ses relations diplomatiques avec la France.

Virginité. Les temps ont changé. Bruguière est parti à la retraite et son enquête s’est largement dégonflée avec la rétractation de plusieurs témoins clés (lire page 4). En novembre 2008, l’une des neuf personnes recherchées par la justice française s’est livrée volontairement. Chef du protocole de Kagame, Rose Kabuye a été entendue à plusieurs reprises par le juge Marc Trévidic, mais laissée en liberté. Paul Kagame, lui, est toujours là. Mais affaibli. A la suite de la publication, l’an dernier, d’un rapport de l’ONU sur l’implication de son pays dans le conflit dans l’est de la république démocratique du Congo, plusieurs pays ont suspendu leur assistance financière. Or le budget du Rwanda dépend pour 50% de l’aide internationale. Entre Sarkozy, désireux de tourner la page, et Kagame, soucieux de se refaire une virginité et de trouver de nouveaux partenaires, l’heure était sans doute arrivée d’apurer les comptes. Avec ou sans excuses de la France.