Culture

Winston Churchill à l’école des sorciers

Série [Seconde guerre] . En septembre 1941, en plein conflit contre l’Allemagne, le Premier ministre britannique se rend dans son ancienne école, à Harrow, pour y exhorter la jeunesse.

Libération

Pour arriver, il a fallu un peu de sueur, pas mal de labeur, mais heureusement, point de sang ni de larmes. La colline est pentue. Mais la grandeur se mérite. Un dernier virage et voici qu’émergent d’entre les grands arbres de somptueux bâtiments de brique rouge, exemples parfaits d’architecture victorienne.

Ils se dressent, tels les modèles d’un village historique miniature ; ici une chapelle, là une bibliothèque, plus loin un dortoir. Posés au milieu de pelouses et de massifs de fleurs parfaitement manucurés. «Si l’on excepte les voitures et les bus sur la rue principale, rien n’a vraiment changé ici», souligne Dale Vargas, notre guide. Rien, vraiment ? Depuis 1572, année de la création de Harrow School, l’une des écoles privées les plus élitistes et connues du Royaume-Uni avec sa grande rivale, Eton ? Ou depuis 1941, date à laquelle Winston Spencer Churchill vint prononcer sur les lieux de son enfance l’un de ses discours les plus mémorables ? «Depuis ces deux dates, probablement», répond avec une certaine fierté Dale Vargas, ex-élève, ex-professeur de mathématiques, ex-directeur adjoint et aujourd’hui guide à Harrow, à une quinzaine de kilomètres au nord de Londres.

Depuis bientôt 440 ans, les 800 garçons pensionnaires évoluent dans le même uniforme, ou presque. En semaine en costume-cravate gris et noir, la tête coiffée d’un canotier ceint d’un ruban bleu. Le dimanche, pour la messe obligatoire, en smoking queue-de-pie. Les plus chanceux, désignés chefs d’année, portent un haut-de-forme et une canne. C’est dans cet accoutrement que Churchill a passé quatre ans, de 1888 à 1892. Mais il n’a jamais porté le haut-de-forme. Son attitude et ses résultats l’en ont empêché. «C’était un élève difficile, qui détestait les maths, le latin et le grec, mais aussi le football et le cricket, les deux sports phares de l’école», raconte Dale Vargas. En revanche, il se distinguait par une mémoire phénoménale et devint champion d’escrime.

Dans une ancienne salle de classe qui date de 1615, les bancs, les tables, les murs sont tapissés des noms, grossièrement gravés dans le bois, de tous les élèves qui sont passés là. Le poète Byron a gravé le sien, pas très loin de celui de Churchill. La salle a servi au tournage du premier des Harry Potter et il ne fait aucun doute que J.K. Rowling y a puisé son inspiration pour Hogwarts, sa célèbre école de sorciers. «Aujourd’hui, quand les enfants arrivent, ils connaissent plus Harry Potter que Churchill», soupire Dale Vargas, «mais ça ne dure pas», sourit-il. Les lieux sont baignés de la présence du grand homme.

Pénombre et rideaux noirs

Ce 21 octobre 1941, l’école n’a été prévenue qu’au tout dernier moment de la visite du Premier ministre. Pour des questions de sécurité. Contrairement à la plupart des institutions londoniennes ou proches de la capitale, Harrow n’a pas été évacuée. Mais la vie scolaire est perturbée. Une majorité de professeurs a été mobilisée et une unité de recherche militaire sur les radars installée dans les lieux. Une bombe incendiaire a endommagé quelques mois auparavant le «Speech Hall», la salle en forme d’amphithéâtre où Churchill se tient sur une estrade, prêt à parler. La grande pièce est dans la pénombre, il est autour de 17 heures déjà, et les vitraux sont obstrués par des rideaux noirs, il ne faut pas attirer l’attention de la Luftwaffe. Le terrible Blitz vient à peine de s’achever. Du 7 septembre 1940 au 10 mai 1941, le pays a été soumis à des bombardements incessants. Et Londres attaqué soixante-seize jours consécutifs. Plus d’un million de maisons ont été détruites, 40 000 civils tués, dont la moitié dans la capitale. Le 22 juin 1941, l’Allemagne a envahi l’URSS, l’opération Sea Lion, axée sur le Royaume-Uni, a été remplacée par celle de Barbarossa, vers le front de l’Est. Mais mieux vaut rester prudent, les bombardements pourraient reprendre.

Avant d’ouvrir la bouche pour jeter quelques mots à la postérité, Churchill a peut-être fermé les yeux, juste un instant. Dans quelques semaines à peine (le 30 novembre), il aura 67 ans. La guerre fait rage, il est Premier ministre depuis un peu plus d’un an, après avoir été soldat, correspondant de guerre, ministre, changé plusieurs fois d’allégeance politique (Parti conservateur ou libéraux). Une vie bien remplie.

Ce jour-là, devant ces élèves dans le même uniforme qu’aujourd’hui, se souvient-il de cet enfant déjà bougon, déjà rebelle, malheureux comme les pierres dans cette pension d’élite ? Se rappelle-t-il cette lettre, écrite à sa mère américaine, la ravissante Jenny Jerome, bien plus préoccupée par ses dîners en ville que par son fils en pension ? «Ma chère Maman, pourquoi ne m’avez-vous pas écrit, alors que vous aviez dit que vous le feriez, en réponse à mes trois lettres ! Je pense que ce n’est vraiment pas gentil de votre part, parce qu’ici, je suis très triste et je travaille très dur. Si vous n’avez pas le temps d’écrire, vous pourriez télégraphier, cela prend très peu de temps. S’il vous plaît, chère maman, écrivez à votre fils qui vous aime.» Il a 13 ans.

«Le fait qu’il se soit rendu à Harrow, en plein milieu de la guerre, il l’avait déjà fait en 1940, est en soi surprenant», raconte Phil Reed, directeur du magnifique musée des Churchill War Rooms. Durant toute la guerre, il s’est exprimé presque exclusivement au Parlement, au micro de la BBC et quatre fois à l’étranger.«En plus, il n’avait pas particulièrement apprécié ses années à Harrow. Mais cela fait partie du jeu : les anciens élèves détestent leurs années en pension, et ensuite, c’est comme un cordon ombilical, ils n’arrivent pas à le couper, ils font partie d’une élite, ils ont les mêmes codes, les mêmes relations.»

«Capitaines de notre âme»

Ce mardi-là, Churchill s’apprête à prononcer l’un des discours ciselés dont il a le secret. «Contrairement à la plupart des chefs de gouvernement aujourd’hui, qui ont une armée pour écrire leurs discours, Churchill, auteur prolifique (43 livres en 72 volumes, dont ses monumentales Mémoires de Guerre, écrivait seul», raconte le directeur de musée. Sir John Colville, son secrétaire particulier pendant les années de guerre, racontera qu’«il lui fallait une heure de préparation pour chaque minute parlée». Il raturait, recommençait, une fois, dix fois, vingt fois. «Mais ensuite, ses phrases étaient parfaites, et elles le sont toujours aujourd’hui», souligne Phil Reed. Contrairement à certains de ses discours, celui de Harrow est court. Il s’adresse après tout à des écoliers, leur temps d’attention n’est pas forcément très long. Mais tout y est.

Depuis plus d’un an, il s’efforce de galvaniser les Britanniques. Pourtant, son arrivée au 10 Downing Street n’a pas été vue d’un bon œil. «Il était perçu comme quelqu’un de peu fiable, qui avait dix idées par minute mais qui ne savait jamais laquelle était la bonne», ajoute Reed. Il a pourtant eu la sagesse de former un gouvernement de coalition avec les travaillistes. Et le 13 mai 1940, devant le Parlement, il s’est voulu humble : «Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur.»

L’été 1941 a été un tournant. La signature, le 14 août au large de Terre-Neuve, de la Charte de l’Atlantique avec le président américain, Théodore Roosevelt, le conforte, la victoire est possible. Le 9 septembre 1941, devant la Chambre des communes, il emprunte au poète victorien William Ernest Henley (1849-1903) les derniers vers de son poème Invictus, écrit en 1875 (et remis au goût du jour par le film de Clint Eastwood sur Nelson Mandela). «Il y a tout juste un an, notre position semblait intenable et passait pour désespérée aux yeux de tous, sauf des nôtres. Aujourd’hui, nous pouvons clamer au monde étonné : "Nous sommes toujours les maîtres de notre destinée." Nous sommes toujours les capitaines de notre âme

Churchill lance ce message, aux écoliers, mais aussi aux Américains, à qui veut bien l’entendre : «N’abandonne jamais.» Toute la rhétorique du Premier ministre britannique, assenée tout au long de la guerre mais appliquée également à sa propre vie, est là : ne jamais abandonner, quoi qu’il arrive, aussi sombre que semble la situation. «Et c’est exactement, explique Phil Reed, de cette rhétorique dont le Royaume-Uni avait besoin en 1940 et dont la France a tant manqué alors.»

Photos Immo Klink

[Samedi prochain : Nasser à Alexandrie]

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