Culture

Bienvenue au Club

Illustration Jeanne Hives /Hachette jeunesse.

Série [Bandes à part] . Tout l’été, «Libération» baguenaude dans des groupes à la marge. Aujourd’hui, les cinq héros de l’auteure anglaise Enid Blyton ont toujours leurs fans.

Libération

Sans le chien Dagobert, le Club des Cinq serait quatre, comme les Trois Mousquetaires. Dagobert, selon les épisodes, est un brave toutou affectueux ou un molosse qui terrifie jusqu’aux bandits. En ce qui concerne les humains, nous avons droit à deux garçons et deux filles dont l’une n’a de fille que le sexe. Claude s’appelle en fait Claudine mais il ne fait pas bon le lui rappeler. C’est elle (ou lui ?), entière, franche et loyale, la maîtresse de Dagobert, et elle met son point d’honneur à ne jamais pleurer, quoique, dans chaque épisode, survient immanquablement le moment où elle ne peut retenir ses larmes. Annie est la benjamine et la nunuche du groupe : elle, avoir peur, pleurnicher, faire la vaisselle, ne lui pose aucun problème, en bonne fille de son époque. Les garçons sont parfaits sauf que seul François est l’aîné. Il est l’adulte de la bande, c’est-à-dire le chef, réfléchi et donneur d’ordres. Mick est plus fantaisiste et imprévisible - et gourmand. Les repas (petit-déjeuner, déjeuner, goûter, dîner, souper et diverses collations) rythment les aventures des prépubères. Le lecteur ne les rencontre qu’en vacances : à Noël, à Pâques, durant l’été. Tout ce qui concerne l’école et le travail est pour la plus grande part pudiquement passé sous silence (même s’il leur arrive d’avoir un répétiteur, qui naturellement est également un bandit), tout le monde étant bien d’accord que ça n’a aucun intérêt. Ces vacances se déroulent fréquemment en Bretagne, autour de l’île de Claude et de la maison de ses parents, son père étant un savant très savant dont les méchants, à l’égal de tous les méchants, n’ont de cesse de vouloir dérober les meilleures inventions. Le père, qui est l’oncle de François, de Mick et d’Annie, est rugueux comme sa fille Claude, mais son épouse, la mère, est on ne peut plus nourricière, surtout aidée par la cuisinière Maria, et il n’est de petit chagrin qui ne disparaisse devant une montagne de calories sucrées.

Foi récompensée

Enid Blyton est née en 1897 et morte en 1968, le tout à Londres. Elle a perdu deux maris et trouvé de quoi écrire des flopées de romans (le Clan des Sept, c’est elle, Oui-oui aussi, et Jojo lapin). Elle crée le Club des Cinq en 1942 avec le Club des Cinq et le trésor de l’île (les livres seront traduits en français à partir de 1955) et achève en 1963 (un titre par an) la série avec la vingt-et-unième aventure des Famous Five : le Club des Cinq en embuscade. Selon Wikipédia, ses romans ont été vendus à plus de 400 millions d’exemplaires et elle est le cinquième auteur le plus traduit, derrière Lénine mais devant Barbara Cartland. Selon François Rivière (Enid Blyton et «le Club des Cinq», éditions les Quatre Chemins), en 1944, elle a publié vingt-deux livres. Et selon les auteurs de ces lignes, c’est pas le tout d’avoir lu ces livres enfant, encore faut-il avoir la foi pour les relire (une foi récompensée).

Le principe de l’aventure est toujours assez semblable. A l’image de Bruce Willis dans Die Hard 1, 2, 3 et 4, les cinq héros - enfants et chien - sont juste là par hasard, à camper, nager, marcher ou faire du vélo, et crac, le mystère leur tombe dessus, ce qui annonce à brève échéance l’arrivée de méchants hostiles et nuisibles qui l’auront bien mérité quelques dizaines de pages plus loin, quand c’est sur leur gueule à eux que tout tombera et ce sera bien fait.

Les valeurs du Club des Cinq triomphent perpétuellement, et ceux qui y verront du machisme, du sexisme ou du racisme ont oublié de les recadrer dans les années 40 et 50 du siècle précédent. Il faut reconnaître aussi aux enfants une certaine liberté qui n’était pourtant pas forcément le quotidien des gamins de l’époque, la mère de Claude étant prête à ce qu’ils se livrent à toutes les excentricités pourvu qu’ils n’aillent pas jusqu’à sauter un repas. Et surtout, aviser que le Club des Cinq,«sans doute la première des séries», selon Serge, auteur et fondateur du site de fans (1), fait souffler un vent ravigotant sur la littérature enfantine de l’immédiat après-guerre : «Il n’y avait pas de séries célèbres, populaires, mais des titres uniques, et les histoires étaient un peu poussiéreuses, tournées vers le XIXe siècle. Les héros étaient des miséreux ou des riches, ils avaient souvent des malheurs… (orphelins, malades, aveugles, etc.).»

Nunuche ou pas

A divers titres, Enid Blyton est loin de Dickens. Il y a dans ses romans une atmosphère légère, une bonne entente permanente entre les cinq membres du groupe, sauf quand Claude se bute, car elle a son petit caractère, et part seule avec Dagobert qui, tel Columbo, flaire les méchants quasiment à la première ligne. Toujours est-il que, moderne ou pas, réac ou pas, nunuche ou pas, soixante-dix ans après, le Club des Cinq a encore des fans actifs. Le forum de Serge en recèle un certain nombre aux échanges encyclopédiques, engagés et quotidiens. Et c’est intéressant de voir comme c’est vivant, comme on peut s’identifier à Claude ou à François (Dagobert, c’est plus rare, quoique son capital sympathie soit à l’abri de tout krach), comment ce sont bien les vacances d’enfant de chacun qui se trouvent corrigées ou réécrites par les vacances des créatures d’Enid Blyton. Georgina, grande fan du C5, comme on dit entre initiés : «A certains passages, je frémis encore de plaisir, mais à d’autres, j’ai envie de faire ravaler à François ses grands airs. Ainsi, j’évite maintenant de relire les C5, car j’ai l’impression de me gâcher le plaisir, de détruire mes meilleurs souvenirs de lecture. j’ai envie de tous les remettre dans le carton dans lequel ils reposaient jusqu’à 2008, date de mon inscription au forum, et de ne les ressortir que tous les dix ans.» Terrible dilemme : lire ou ne pas lire ce qu’on aime lire ? Peut-on rester enfant rien qu’en relisant des livres d’enfant ?

La littérature enfantine a toujours à voir avec la sexualité et Bruno Bettelheim en a fait des tonnes sur le sujet. Les contes de fées, les bandes dessinées, la comtesse de Ségur et je t’en passe, on n’a aucun mal à y détecter des allusions possiblement sexuelles. Le Club des Cinq semble échapper totalement à cette problématique, malgré la période censée être hormonalement active pour les personnages. C’est aussi dans l’esprit de notre époque qu’une sexualité absente ou présente à travers la seule dénégation de son genre par Claude apparaisse comme un paradis perdu.

(1) http://serge.passions.pagesperso-orange.fr/livres_d_enfants.htm

[Lundi : Chine, la bande des quatre]

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