Monde 13/05/2011 à 12h13 (mise à jour à 15h15)
Ce que la remise en cause de l'espace Schengen peut changer pour vous
Des douaniers roumains le 18 janvier 2011 à la gare d'Ungheni à la frontière entre la Moldavie et la Roumanie. (© AFP Daniel Mihailescu)
Europe sans frontières remise en cause, tensions entre le Nord et le Sud autour de l'euro, désenchantement à l'égard des institutions bruxelloises dans les capitales tentées de piloter seules l'UE: la construction européenne traverse une passe très difficile. La remise en cause de Schengen est à ce titre symbolique. Décryptage de ce qui peut se passer et de la situation actuelle.
Ce que les Etats veulent changer
Paris et Rome sont en conflit sur les frontières autour du sort de plusieurs milliers d'immigrants tunisiens. Arrivés dans l'UE via l'île italienne de Lampedusa, la plupart souhaitent se rendre dans l’Hexagone.
Sous la pression de Paris, l'UE envisage de permettre aux Etats de rétablir plus facilement des contrôles de passeport, en cas d'immigration massive ou si un Etat est jugé défaillant dans la surveillance de ses frontières.
Selon le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, «la France veut défendre [l'espace] Schengen. Il est menacé par des flux migratoires qui se font de plus en plus importants et il nous faut absolument éviter que face à des situations difficiles, il y ait des réactions des pays en ordre dispersé». On remarquera la logique argumentative: pour défendre la liberté, il faut moins de liberté. Le PS, quant à lui, a estimé jeudi soir que «l'arrivée de migrants tunisiens ne devait pas servir de prétexte à un recul de l'Europe».
De plus, le Danemark a annoncé mercredi sans aucune concertation sa décision de rétablir des contrôles à ses frontières avec l'Allemagne et la Suède. Les pressions du Parti du Peuple danois, formation d'extrême droite, qui entend ainsi lutter contre l'immigration illégale et la criminalité organisée, ont payé. En règle générale, les volontés de rétablir des contrôles plus stricts aux frontières sont une vieille demande des partis eurosceptiques.
La Commissaire européenne en charge de la Justice, Viviane Reding, a demandé jeudi aux autorités danoises de coucher par écrit l'engagement que le rétablissement des contrôles douaniers aux frontières nationales «n'aura aucun impact sur la liberté de circulation des personnes».
Qu’est-ce qu’une situation d’urgence?
Un pays peut maintenant fermer ses frontières en cas de situation exceptionnelle, sauf qu’il n’a pas été clairement dit à quel niveau l’urgence commence. Selon Claude Guéant, «pour les clauses de sauvegarde qui permettraient de rétablir temporairement dans certains cas exceptionnels des contrôles aux frontières, des critères, des modalités doivent êtres fixés pour éviter que ce soit le libre arbitre de chacun qui commande».
Cela peut donc être tout et son contraire. Les 25.000 Tunisiens arrivés en Italie sont-ils un cas exceptionnel par exemple? A priori non, comme l’a reconnu le ministre de l’Intérieur français à Bruxelles.
La suspension de la convention de Schengen s'est déjà produite lors de sommets internationaux ou d'événements sportifs. Lors du sommet de l'Otan à Strasbourg en 2009, la France avait rétabli le contrôle à ses frontières avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. En 2006, l'Allemagne avait fait de même pour éviter l'afflux d'hooligans lors de la Coupe du Monde.
Ce que pourrait changer un durcissement de Schengen
Pour les touristes:
Beaucoup et pas grand chose à la fois pour les particuliers. Énormément sur le plan symbolique évidemment puisqu’on a pris l’habitude de se déplacer d’un pays à l’autre sans problème, sans se poser de questions. C’est d’ailleurs l’une des choses les plus appréciées par les populations dans la construction européenne.
Un renforcement des contrôles aux frontières dans les faits auraient assez peu d’incidence pour le touriste lambda à part peut-être un temps d’attente plus long à la frontière. Le Royaume-Uni n’est pas dans Schengen et cela n’empêche personne d’aller à Londres en Eurostar.
Attention toutefois aux risques de fouilles encore plus accrues en revenant d’Amsterdam. Pour la petite histoire, en mars 1996, la France leva tous les contrôles sauf aux frontières avec la Belgique et le Luxembourg, par crainte d’une entrée massive de drogues douces en provenance des Pays-Bas.
Pour l’économie:
Si les théories sur les bénéfices de l'absence de frontières et d'une zone monétaire commune ne sont pas partagées par tous, historiquement la disparition des frontières et des douanes est le plus souvent bonne pour les économies des deux pays. Les rétablir, c’est ralentir les échanges, faire baisser la confiance, etc...
Pour les immigrés:
C’est déjà très dur et dangereux pour eux de venir en Europe. C’est un signe supplémentaire qui leur est adressé pour leur dire que les Etats ne veulent pas d’eux.
Pour le contribuable:
Rétablir plus de contrôles signifie forcément une augmentation du coût et des effectifs de douane. A moins, à budget constant, de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le PS s’est ainsi interrogé: «Alors que les forces de police n'ont déjà plus les moyens de lutter vraiment contre la délinquance sur le territoire, ils auront en plus à contrôler les frontières. Comment alors garantir la sécurité intérieure?».
Qui est dans Schengen aujourd’hui?
(Cliquez-ici pour agrandir la carte)
Comme le note Didier Bigo, professeur au King’s college à Londres, «Schengen est un espace de contrôle qui ne correspond pas à l’Union» et d'ailleurs, «cet l’hétérogénéité des espaces empêche une homogénéisation du contrôle».
Si la première convention de Schengen date de 1985, la mis en application des principes a été très progressive et pas pour tous les pays en même temps. 22 pays de l’UE (sur 27) en sont actuellement membres. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie ont rejoint l’espace en 2007. A ces derniers s’ajoutent des pays associés non-membres de l’UE: la Norvège, l’Islande et la Suisse.
Le Royaume-Uni et l’Irlande ont toujours refusé d’en faire partie, situation paradoxale puisque dans le même temps ils réclament le droit de participer à toutes les bases de données échangeant des informations sur les visas.
La Roumanie, la Bulgarie et Chypre sont au contraire en attente d’entrer dans l’espace. Pour le moment, les Pays-Bas par exemple s’y opposent. Remplir les critères techniques ne suffira pas à l'entrée cette année de la Bulgarie dans l'espace Schengen, a ainsi déclaré jeudi à Sofia le ministre néerlandais des Affaires européennes Ben Knapen. Selon lui, «il va de soi que l'ouverture et la surveillance des frontières n'est pas qu'une question de critères techniques. Il s'agit aussi de l'Etat de droit et du fonctionnement et des capacités du système judiciaire».
En général, la France, l'Allemagne et d'autres pays de l'UE exigent de la part de la Roumanie et de la Bulgarie des résultats plus marqués dans la lutte contre la criminalité et la corruption.
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Vos commentaires
269 commentaires affichés.
- mejolsetgourgouillat (143)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- Ce que la remise en cause de l'espace Schengen peut changer pour vous
- rien. on vient juste de faire le plein de gas-oil au lulu, comme d'hab, depuis des lunes, un truc immuable, les cartouches de clopes, le plein de chocolat et de jack daniels. le frisson képi manquait... là, c'est trop cool. merci nico. keep going'on. be wild, baby ! raph ps: c'est qui…
- Samedi 14 mai à 00h33
- waterkloof (113)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- ..... !
- On n'en veut plus de votre Europe, il faut vous le dire comment ? (pas par référendum, cela a déjà été fait et n"a servi à rien)
- Vendredi 13 mai à 23h24
- jean_karim (6640)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- "Les 25.000 Tunisiens arrivés en Italie sont-ils un cas exceptionnel par exemple? A priori non"
- Et si c'est 100 000, à priori non plus. Et 200 000 ? pas davantage. 500 000 ? ..... vous arrêtez avec vos questions idiotes ?
- Vendredi 13 mai à 22h16
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