Monde 25/02/2010 à 00h00

Sous le soleil de Kigali, les zones d’ombre franco-rwandaises

La venue de Sarkozy ne signe pas la fin des litiges juridiques et économiques.

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Par CHRISTOPHE AYAD, THOMAS HOFNUNG

Malgré la restauration des relations diplomatiques le 29 novembre et la visite «historique» de Nicolas Sarkozy à Kigali aujourd’hui, de lourdes hypothèques pèsent encore sur les relations franco-rwandaises.

L’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994

Le temps des relations diplomatiques et celui de la justice ne vont pas toujours de pair. L’instruction menée par le juge Bruguière, qui avait mis en examen et délivré des mandats d’arrêt contre neuf proches du président Kagame, a beau avoir été reprise par Marc Trévidic et minée par la rétractation spectaculaire de témoins clés, l’exécutif ne peut tout simplement pas annuler une procédure judiciaire en cours. Ce que Kigali ne comprend pas toujours. Surtout, la volonté de clore l’enquête se heurte aux attentes des parties civiles, notamment les familles des trois Français du personnel de bord, qui ont péri dans l’attentat, et de la famille du président rwandais Habyarimana, dont la veuve, Agathe Kanziga, vit en France malgré le rejet de sa demande d’asile.

Les procédures judiciaires visant des génocidaires présumés

Agathe Kanziga, justement, est visée par une instruction pour «incitation au génocide». Jusqu’à très récemment, la France a fait presque systématiquement obstruction au jugement de génocidaires présumés vivant sur son sol. Or, la France est, avec la Belgique, le pays ayant accueilli le plus de réfugiés rwandais. André Guichaoua, spécialiste du Rwanda, est particulièrement sévère sur cet aspect de la politique française : «Parmi ces réfugiés, des filières ont permis que s’installent des personnes sur lesquelles pèsent des doutes plus que sérieux en matière de crimes de génocide. La Belgique a fait des efforts réels dans ce domaine. La France ne les a jamais faits.» Une inaction qui trouve sa source dans la raison d’Etat, d’après un observateur bien informé : «Il y a, en France, de vrais assassins et qui sont entrés grâce à des filières diplomatiques. Les juger serait reconnaître qu’on a accueilli ces gens en connaissance de cause», explique cette source.

La création d’un parquet spécialisé dans les crimes contre l’humanité et la reprise des relations diplomatiques avec Kigali devraient accélérer les procédures en cours, notamment celles concernant le préfet Laurent Bucyibaruta et le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, qui ont battu des records de lenteur.

Les richesses de l’est du Congo

La France a longtemps été la garante de la souveraineté de la république démocratique du Congo (RDC) face aux régulières incursions de l’armée rwandaise depuis 1996. Mais après avoir menacé, fin 2008, de déployer une force internationale au Nord-Kivu pour soutenir Kinshasa, Paris a approuvé le spectaculaire retournement d’alliance entre Kabila et Kagame contre la rébellion hutue réfugiée au Congo. Et Paul Kagame, de plus en plus critiqué pour ses ingérences chez son voisin congolais ainsi que le pillage de ses richesses minières, a trouvé un allié inattendu à Paris.

En effet, Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à évoquer, en janvier, un «partage des richesses» entre Rwandais et Congolais dans l’est de la RDC. Face à la colère suscitée à Kinshasa par ces propos, le président français dut faire marche arrière, réaffirmant l’intégrité des frontières de la RDC et proposant l’aide de la France pour des «projets économiques conjoints» entre les anciens frères ennemis. Aujourd’hui à Kigali, Nicolas Sarkozy va proposer l’organisation d’une conférence des bailleurs de fonds à ce sujet en marge du prochain sommet France-Afrique en mai.

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