Société 20/02/2010 à 00h00

La classe moyenne bute sur la pierre

Une étude décortique le sentiment de déclassement face à la crise immobilière des foyers aux revenus intermédiaires.

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Par TONINO SERAFINI

(Flickr/mike.wilson)

Il règne un sentiment de déclassement au sein des couches moyennes. Le logement est un thermomètre qui donne bien la mesure de ce glissement vers le bas d’une partie de ce groupe social «hétérogène» et «flou» qui regroupe près d’un Français sur deux, pointe une étude (1) de l’Université Paris-Dauphine réalisée pour le compte de la Confédération française de l’encadrement (CGC).

Pendant les Trente glorieuses - rappelle l’enquête sur questionnaire menée auprès de 4 000 actifs -, l’accession à la propriété a été pour les ménages de la classe moyenne une sorte de «marqueur» de leur statut social par le biais d’un parcours résidentiel ascendant. Mais les mutations économiques qui ont fragilisé l’emploi et des revenus, conjuguées à une hausse vertigineuse des prix de l’immobilier et des loyers dans le secteur privé, ont tout remis en cause. Le logement est source de «frustrations et d’insatisfactions […]. Il est accusé de paupériser les classes moyennes».

Ce constat est spécialement vrai pour les ménages appartenant à la «classe moyenne inférieure» (les CMI), dont les revenus se situent dans une fourchette de 1 800 euros à 2 700 euros nets mensuels. Elles doivent souvent faire le deuil d’un parcours résidentiel ascendant. Du reste, leurs conditions d’habitat se rapprochent de celles des couches populaires : baisse du nombre d’accédants à la propriété, logements trop petits au regard des besoins, éloignement vers les zones périurbaines pour trouver à se loger moins cher. En tout état de cause, une grosse partie de leur budget est engloutie par le poste «habitat». Voilà donc le logement devenu «facteur d’éclatement des classes moyennes».

 

éclatement. Interrogés sur leur aisance financière par les universitaires de Dauphine, les actifs des classes moyennes inférieures apportent des réponses semblables aux classes populaires : 15,5% se déclarent «plutôt à l’aise» (14,2% chez les employés et 14,5% chez les ouvriers), 65,3% se disent «un peu juste» (63,9% chez les employés, 60,9% chez les ouvriers) et 19,2% sont carrément «en difficulté» (21,6% pour les employés et 24,4% pour les ouvriers). Compte tenu de ce vécu, 34,3% des actifs de la classe moyenne inférieure font état désormais d’un «sentiment d’appartenance aux couches populaires». La classe moyenne éclate : seules les couches moyennes supérieures se disent majoritairement (57,3%) «plutôt à l’aise» financièrement, tandis que ce pourcentage est d’un tiers (33,2%) chez les classes moyennes intermédiaires.

Cet éclatement se vérifie par le prisme de l’accession à la propriété, «puissant symbole de confort et de distinction sociale», très liée aux revenus. Selon l’étude, seulement 38,9% des actifs de la CMI sont propriétaires de leur habitat. Un chiffre proche, là encore, des ouvriers (37,8%) et des employés (35,9%). Le bas de la classe moyenne se trouve largement distancée par les «couches moyennes intermédiaires» : 54,1% de propriétaires, avec des revenus mensuels qui vont de 2700 euros à 3750 euros. Et surtout par les couches moyennes supérieures : 63,5% de propriétaires, avec des revenus de 3750 à 6600 euros.

Dans cette étude, les couches moyennes inférieures estiment que leurs parcours résidentiel ascendant est entravé par une multitude de facteurs qui témoignent tous d’un certain déclassement : incertitude de ressources (19%), incertitudes professionnelles (18%), difficultés d’accès au crédit (13%) et prix de l’immobilier en décalage avec leurs budget (27%).

Banlieues. Face à l’envolée de la pierre et des loyers, les classes moyennes inférieures ont été contraintes de s’éloigner des centres-ville et des banlieues proches. Elles sont désormais presque aussi nombreuses (43,3%) que les employés (44,3%) à habiter dans les espaces périurbains ou ruraux. En revanche, la classe moyenne supérieure vit à 68% dans les centres-ville ou en banlieue. Ce qui la rend très sensible à la flambée de l’immobilier très forte dans ces endroits : 36% jugent cela comme un obstacle pour leurs projets résidentiels.

N’ayant plus les moyens d’accéder à la propriété, la classe moyenne inférieure loue dans le parc locatif privé. Elle s’auto-exclut des HLM alors qu’elle y a droit. Elle «évite de s’orienter vers un parc synonyme de déclassement», indique l’étude. Un artifice en guise de sauvegarde d’un statut toujours plus incertain.

(1) «Le logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ?» par François Cusin, Claire Juillard, Denis Burckel.

Crédits photo: Flickr/mike.wilson.

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