Société 11/03/2010 à 00h00

«A ce moment-là, j’avais de la force»

Récit

Philippe Cousin, 52 ans, a décapité sa femme après vingt-quatre ans de vie commune. Derrière un couple «sans histoire», une vie de soumission et de frustration. Il a été condamné à dix-huit ans de prison.

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Par ONDINE MILLOT

Une bouche qui se ferme et reste serrée, lèvres écrasées, quand on lui demande pour la vingtième fois pourquoi. Pourquoi, après vingt-quatre ans de vie commune «sans histoires», de petits déjeuners au lit, de repas du dimanche dans la belle-famille, de randonnées sur les chemins de Corse, de week-ends dans les châteaux de la Loire, Philippe Cousin a-t-il découpé la tête de sa femme avec un couteau de cuisine ? Lui, le mari «attentionné», «prévenant»,«fou amoureux». Lui, l’homme «discret», cadre docile à la Poste, si «conciliant», si «soumis» ?

Mardi soir, la cour d’assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais) a condamné Philippe Cousin, 52 ans, à dix-huit ans de prison pour le meurtre de sa femme Nicole, 47 ans à l’époque, décapitée en avril 2007. Une condamnation dont on ne sait s’il fera appel, tant il est le premier à s’accuser de son acte «abominable»,«atroce».

Silence. La première chose que l’on aperçoit, lundi, à l’ouverture de l’audience, c’est son alliance. Philippe Cousin se tient raide, pantalon gris, veste grise en laine épaisse, mains jointes sur le devant. Son front barré d’une frange se baisse et reste incliné, pénitent, à chaque évocation de la morte. «Y a-t-il une décision qui soit la vôtre en vingt ans de vie commune ?» demande la présidente. Silence. «Mais enfin, Monsieur Cousin, ce n’est pas porter atteinte à la mémoire de votre femme que de répondre à ça ! Y a-t-il quelque chose que vous avez réussi à imposer ?»- «Non.»

Philippe et Nicole se sont rencontrés en 1983, au bureau de poste de Provins (Seine-et-Marne). Enfant «timide» d’un père professeur sévère et d’une mère au foyer, Philippe n’a «pas vraiment» connu de femme avant Nicole. Ils emménagent ensemble rapidement, se marient, achètent un appartement à Arras.

Nicole choisit les meubles (art déco), les loisirs (randonnée), les fréquentations (sa famille). «J’étais heureux, cela me convenait», insiste Philippe. Dominique, sa belle-sœur, se souvient que Philippe aimait «faire le pitre».«Il parlait fort, avec un accent italien. Nicole n’appréciait pas. Elle lui mettait un coup de coude. Il arrêtait.»

De temps en temps, Philippe emprunte de l’argent liquide à ses parents pour acheter des bouteilles de champagne, qu’il offre à ses collègues de bureau. «Il le faisait en cachette de sa femme, se souvient l’un d’eux. Il n’avait pas le droit.»

Le 16 avril 2007 au matin, comme tous les matins, Philippe s’est levé avant Nicole pour lui préparer son café. Il s’est assis sur le lit. Lui a tendu la tasse. Lui a dit qu’il voulait un enfant. «Elle a dit non. Je suis retourné à la cuisine. J’ai pris le couteau. Je l’ai frappée.» La présidente montre le couteau ensanglanté : «Couper la tête de quelqu’un, Monsieur Cousin, cela demande beaucoup de force.» Il baisse encore la tête. «A ce moment-là, j’avais de la force.»

Agenouillé au pied de sa femme décapitée, Philippe a ensuite appelé sa famille, puis la police. «Il nous a dit qu’il était désolé du travail qu’il nous donnait», se souvient un enquêteur. Philippe reconnaît le meurtre, sans expliquer. Quatre jours plus tard, l’autopsie de Nicole révèle qu’elle était encore vierge.

«Composer». «Comment avez-vous vécu cette intimité… euh, un peu particulière ? se lance la présidente.

- Je l’ai accepté.

- C’est elle qui opposait un refus ? - Oui.

- Cela ne vous frustrait pas ?

- C’était à moi de composer.»

Le couple pratiquait la masturbation, la fellation, le cunnilingus, la sodomie. Tout cela est détaillé à l’audience devant un Philippe Cousin de plus en plus muet. «J’aurais aimé… avoir une sexualité normale», murmure-t-il. Puis : «J’aurais aimé avoir un enfant. Une petite fille.» D’après Philippe, sa femme, marquée par le décès de son père atteint d’une sclérose en plaque, avait développé une phobie, de peur d’enfanter un bébé malade. «J’ai toujours cru que ça allait évoluer. Qu’elle changerait d’avis.» De 1999 à 2006, Philippe a entretenu une amitié amoureuse avec une collègue, Isabelle. Ils se sont vus plusieurs fois à l’hôtel. Ils n’ont échangé que des caresses. «Si je ne pouvais pas le faire avec Nicole, je ne voulais pas le faire avec quelqu’un d’autre.» Isabelle a jeté ses lettres quand elle a appris «ce qu’il avait fait».«C’était quelqu’un de gentil. Très doux», dit-elle.

Un collègue de Philippe pense que la décapitation est «un acte symbolique, qui signifie un ras-le-bol de l’autorité».«Au bout d’un moment, de n’être considéré par personne…» C’est aussi l’analyse des experts psychologues, qui parlent d’une «tentative de restauration narcissique», après des années «d’humiliation» et de «frustrations» accumulées. «Une explosion», résume son avocat Didier Robiquet. Philippe, lui, acquiesce à tout, soucieux de ne pas contrarier. «Depuis tout petit déjà, j’ai essayé de faire plaisir à des gens. J’ai toujours eu un rôle… de composition.» Il a regagné sa cellule, dont les murs sont tapissés de photos de Nicole. Il «l’aime encore».

Dessin Pierre Mornet

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