Monde 24/03/2010 à 16h05
Trois semaines après les élections, l'Irak cherche toujours un vainqueur
DECRYPTAGE
Nouri al-Maliki et Iyad Allawi se tiennent dans un mouchoir de poche, mais ils n'auront pas de quoi former une majorité. Ce qui promet encore de longues tractations pour les prochaines semaines.
Un soldat irakien devant une affiche représentant Iyad Allawi, le 20 mars 2010 à Bagdad (AFP Ali al-Saadi)
Plus de trois semaines après des élections législatives saluées par la communauté internationale, l'Irak semble s'embourber dans un après-scrutin à couteaux tirés. Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a réclamé dimanche un nouveau décompte des bulletins de vote, un de ses conseillers évoquant des «signes de manipulation dans le dépouillement».
Des demandes rejetées par la commission électorale, qui a indiqué qu'aucune fraude de grande ampleur n'avait été enregistrée et rendait de nouvelles opérations de décompte inutiles. Pour l'instant, 95% des bulletins ont été examinés, mais aucune majorité claire ne semble se dessiner.
Il est peu probable que les ultimes 5% changent les choses d'ici vendredi, journée où les résultats définitifs sont attendus. «Même si on prend au sérieux l'accusation de fraude - il y a certainement eu des manipulations ici ou là - cela ne modifiera pas substantiellement la donne. Peut-être 3 ou 4 sièges», explique Hosham Dawod, chercheur au CNRS.
Qui a gagné les élections?
L'issue du vote est encore incertaine, tant les écarts entre les deux hommes qui se partagent la tête sont minimes. Le laïc Iyad Allawi - à la tête du Bloc Irakien, une coalition regroupant chiites et sunnites - compte pour l'instant 11.346 voix d'avance sur le Premier ministre sortant Nouri al-Maliki, leader de l'Alliance pour l'Etat de droit (AED).
Pourtant, l'un comme l'autre sont très loin de réunir la majorité absolue (163 sièges sur les 325 du parlement irakien). Avec 2,6 millions de voix par liste, Allawi et Maliki devraient obtenir «une petite centaine de sièges chacun», selon Hosham Dawod. Le chercheur souligne aussi le côté «mauvais perdant» des deux hommes, qui ont tour à tour contesté les scores du rival dès qu'ils étaient devancés dans les résultats intermédiaires.
La performance de l'ancien Premier ministre Allawi constitue néanmoins un indéniable succès, alors que Maliki se donnait largement vainqueur il y a quelques semaines. Cela valide également sa stratégie transconfessionnelle.
En troisième position arrive l'Alliance nationale irakienne, un regroupement de partis religieux chiites, avec près de 2 millions de voix, ce qui représenterait de «60 à 70 sièges». Puis viennent les deux listes kurdes (notamment la dissidente, Goran, qui a obtenu un bon score), et enfin l'accord national des sunnites, dont la performance est assez désastreuse.
Un gouvernement peut-il être formé?
Pour l'instant non, puisqu'aucune liste n'obtient la majorité absolue. «Il y aura des semaines voire des mois de tractations et de rumeurs», explique Hosham Dawod. L'enjeu: la conclusion d'alliances pour parvenir à une coalition majoritaire. Sauf que les trois semaines de dépouillement ont évidemment durci les positions des uns et des autres.
Des manifestations anti-Allawi ont d'ailleurs éclaté ce mercredi dans le sud chiite de l'Irak, les partisans de Maliki l'accusant d'être le symbole du retour du Baas, le parti au pouvoir du temps du président Saddam Hussein.
«Ces deux personnes sont irréconciliables. Allawi arrive avec un bataillon d'anciens de la bureaucratie civile et militaire. Maliki s'appuie sur des nouveaux, arrivés en 2003, et qui n'ont pas l'intention de lâcher le pouvoir», éclaire Hosham Dawod. «Pour l'instant, ils vont s'accrocher au maximum pour devenir Premier ministre.»
Mais selon le chercheur, il ne faut pas non plus exclure une alliance entre les deux coalitions, leurs deux leaders ayant préalablement été écartés. Signe que la prudence doit être de rigueur, d'autres scénarios peuvent être imaginés. Notamment que l'Alliance nationale irakienne (arrivée en troisième position) et les listes kurdes (quatrième position) jouent le rôle de «faiseur de Roi», c'est-à-dire qu'elles apportent les sièges décisifs pour former une majorité.
Problème, l'Alliance nationale irakienne compte en son sein les sadristes [les partisans de Moqtada al-Sadr], qui sont farouchement opposés à Maliki. Quant aux Kurdes, malgré leur division et un certain effritement, ils restent en position de choisir la prochaine majorité.
Quelles leçons peut-on tirer du scrutin?
- Les mois qui avaient suivi les élections de 2005 avaient été marqués par une vague de violence sectaire. La situation semble plus apaisée aujourd'hui, même si, comme le notait dans Libération le chercheur Pierre-Jean Luizard, «on continue d'avoir peur de ceux d'en face».
Pour Hosham Dawod, le jeu démocratique irakien n'est certes pas parfait - «c'est difficile de penser qu'en 4 ou 5 ans on va avoir des démocrates authentiques» - mais il reste plutôt honnête par rapport à celui des pays voisins. Le chercheur salue également le retour des sunnites dans le jeu politique, eux qui avaient boycotté le scrutin de 2005. Les ministres sortants, en déficit de résultats sur le plan économique notamment, ont été mis en difficulté dans de nombreuses régions.
- Hosham Dawod estime que cette élection était «plus réfléchie que la première, où on soldait les comptes. Il y a moins de passion, plus de raison». Les résultats sont donc fragmentés et parcellaires. Le chercheur remarque aussi que le scrutin «a déplacé le champ politique d'un confessionnalisme et d'un communautarisme marqués à quelque chose de plus englobant et national».
Pour quelle raisons? «Le mode de scrutin a changé. En 2005, les Irakiens ont voté selon une proportionnelle intégrale, c'est-à-dire que les listes étaient confessionnelles, tribales. On avait une coloration essentialiste de la société puisqu'on votait pour quelqu'un de son courant, même s'il était à l'autre bout du pays. Cette année, on est passé à une proportionnelle locale; on vote pour quelqu'un qu'on connaît. On obtient des programmes un peu plus politiques et on se décentre du socle religieux.»
Ainsi, Allawi a tenu un discours plus séculier, ouvrant sa liste aux sunnites du nord et de l'ouest. Maliki, lui, s'est présenté davantage comme un candidat national apportant l'ordre et la sécurité. Dans cette lutte entre les deux hommes, un paramètre devrait avoir son importance: l'influence des Américains, qui doivent retirer d'ici juin leurs troupes de combat du pays. Le temps est donc réduit pour parvenir à un accord.
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Vos commentaires
11 commentaires affichés.
- marc75 (653)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- Merci aux USA!
- But de l'invasion US : détruire les ADM (inexistantes), établir la démocratie. Sur ce dernier point, les résultats : - corruption généralisée - justice expéditive (condamnations à mort à la pelle, souvent des règlements de…
- Jeudi 25 mars à 11h53
- monsieurl (382)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- Éclatant succès
- Apparemment les Américains ont réussi à faire "démocratiser" la fraude et le mécontentement !
- Jeudi 25 mars à 10h21
- kal49 (3243)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- Une solution
- Leur faire une guerre pour leur apprendre la cohabitation Hein Bush ? Ca te démange hein ? Mmmm qu'il aimerait ça ce gros tas, mmmmm. Ouais mais il n'a pas le temps, il y a son feuilleton préféré qui passe ce soir (soir pour nous) à la télé.…
- Mercredi 24 mars à 20h56
- allezlom (927)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- l'Union des Mauvais Perdants
- existe aussi en Irak apparemment.
- Mercredi 24 mars à 19h46
- tombishop (1981)Inscrit Libé +Suivre cet internaute | Profil
- L'exemplarité de l'Irak d'aujourd'hui !
- Les deux leaders irakiens vont s'entendre, c'est une question d'interret mutuel pour le pays. Dans les effets, c'est plutot Allawi qui ne semble le meilleur pour diriger le nouvel Irak, federal. Paradoxalement, l'intervention de la Coalition en 2003 sera perçu comme une veritable liberation…
- Mercredi 24 mars à 18h29
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